Le pays innocent

Une femme habille son petit garçon de cinq ans d’une combinaison de spationaute.

Pour le sauver d’un monde qu’elle pense condamné, elle veut le faire passer de l’autre côté d’un trou noir, sur une planète recouverte de forêts épaisses et profondes. L’enfant se retrouve alors à des millions d’années-lumière de la Terre, dans cet autre monde.

Accompagné d’un vieil homme et d’une garde forestière, il part à la recherche d’un pays légendaire où n’existeraient ni la violence ni la dévastation et que sa mère appelle « Le pays innocent ».

Et si cette femme disait vrai ?

Et si elle avait véritablement sauvé son enfant ?

 

« C’est aujourd’hui que je vais passer de l’autre côté du trou noir. Maman dit que le voyage sera long mais je n’ai pas peur. J’ai mis ma combinaison de spationaute et j’ai mangé mes pastilles d’iodes avec le lait et les corn flakes. J’attends que la porte s’ouvre. Maman regarde par la fenêtre. Il y a des petits nuages qui s’effilochent dans le ciel bleu au-dessus du stade et des immeubles. Le soleil pâle grimpe doucement à l’horizon mais la porte n’est pas encore apparue. Maman a peur qu’elle ne s’ouvre pas. Elle ne dit rien mais je le comprends dans la manière qu’elle a de tourner en rond dans le salon, de s’asseoir et de se lever, de me crier dessus pour que je range mes affaires. Je sais bien moi qu’il n’y a pas à s’inquiéter, que la porte s’ouvrira, que je passerai de l’autre côté et que nous serons sauvés. Mais ma mère s’inquiète, c’est comme ça, elle s’inquiète toujours, elle est angoissée, c’est sa passion. Elle a toujours peur pour moi. La nuit elle se réveille et elle vient vérifier si je respire. Elle aurait préféré, je crois, que je reste dans son ventre, protégé, intact, inaccessible. Elle s’inquiète de tout, ma mère, des poux dans mes cheveux, de la température de mon front, des enfants difficiles dans la cour de l’école, elle les regarde de loin et elle rêve de grandes prisons dont ils ne pourraient plus jamais sortir pour me faire du mal. Elle s’inquiète des voitures et des motos, des dealers devant chez nous, des cambriolages. Et elle s’inquiète de la pollution, des radiations et de l’étanchéité de ma combinaison spatiale. Tous les matins, je mange mes pastilles d’iode. Elle regarde par la fenêtre. Il n’y a toujours rien. « La porte va s’ouvrir maman et tu me rejoindras bientôt quand tu auras enfin reçu une combinaison à ta taille. Je suis ton éclaireur. » Et quand le vent se lève, quand la porte s’ouvre soudain dans l’air avec le vent, je respire, je baisse ma visière, j’allume ma radio embarquée, je regarde le petit appartement – au revoir chez moi – au revoir toutes mes choses – au revoir je pars de l’autre côté du trou noir – et je prends maman dans mes bras. »

 

 

Ouvrage publié avec le soutien du Centre Nationale du Livre

Le texte est lauréat de l’aide à la création d’Artcena (2024).

Date de publication

2024

Éditeur

Détails

13x21 cm, 96 pages

ISBN

978-2-84705-310-4